De très vieux draps de lin, des torchons, de nombreux boutons, des cordons et autres ficelles, des bobines de coton jusqu’aux grandes boites d’épingles enrichissent 1’atelier, et, comme les trois machines à coudre, m’ont été cédés ou légués. Ils constituent un patrimoine précieux parce que riche d’un passe qui m’est cher ; ils alimentent un fonds pour la plasticienne, un savoir, et il est possible d’y puiser certains éléments pour avancer et ne pas perdre le fil. Ils habitaient le lieu avant moi. Comme les papiers ou autres matériaux qui me sont offerts par des amis, ils ont une charge et nourrissent la pratique. Ce sont des trésors qui possèdent déjà une âme.
Ce matériel, présent dans l’atelier appartient au passe et fait partie de l’intimité ; il instaure un certain bien-être et un climat de confiance qui autorisent toutes les libertés ; l’aiguille ou l’épingle, les ciseaux, le dé ou la machine à coudre sont présents dans 1’atelier avec le matériel du peintre ; ils se côtoient sans hiérarchie de genre. La plasticienne fait bon ménage avec la couturière et il est difficile de savoir qui, de l’une ou de l’autre, prend les décisions dans le travail. Ainsi, les outils eux-mêmes acquièrent d’autres fonctions que celles qui leur sont normalement attribuées ; les ciseaux prennent la place du crayon, l’aiguille de la machine à coudre trace des méandres ou ébauche des frontières. Les gestes anodins et les outils ordinaires accompagnent le travail et permettent aux actes de s’enchaîner sans pensée, comme si le corps agissait seul, sans conscience. « Si la peinture peut être considérée comme chose mentale - ce qui lui a valu un temps, d’être portée au rang des arts majeurs -, elle ne peut pour autant pas échapper à sa manière d’être, c’est a dire de naître, d’évoluer et de s’achever au gré de l’étonnement du peintre face a des situations et des interventions que l’on peut dire mineures, minimes voire minables. » [1]